La notion d’établissement stable précisée par le Conseil d’Etat
Par une décision du 11 décembre 2020 (CE, 3è-8è-9è-10è ch. réunies, 11/12/2020, n° 420174), le Conseil d’Etat a élargi, à des situations qui visent l’économie numérique, la notion « d’établissement stable ».
Le Conseil d’Etat a ainsi précisé que « pour avoir un établissement stable en France, une société résidente d'Irlande doit soit disposer d'une installation fixe d'affaires […], soit avoir recours à une personne non indépendante exerçant habituellement en France des pouvoirs lui permettant de l'engager dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant ses activités propres. Doit être regardée comme exerçant de tels pouvoirs, ainsi d'ailleurs qu'il résulte […] des commentaires au modèle de convention établi par l’OCDE […], une société française qui, de manière habituelle, même si elle ne conclut pas formellement de contrats au nom de la société irlandaise, décide de transactions que la société irlandaise se borne à entériner et qui, ainsi entérinées, l'engagent ».
Dans le cas d’espèce, la Haute Juridiction en a déduit que, si la société irlandaise fixait bien le modèle des contrats conclus avec les annonceurs ainsi que les conditions tarifaires générales, le choix de conclure un contrat avec un annonceur, et l'ensemble des tâches nécessaires à sa conclusion, relèvent des salariés de la société française, la société irlandaise se bornant à valider le contrat par une signature qui présente un caractère automatique.
Le Conseil d’Etat a ainsi estimé que la société française constituait, en droit, un établissement stable de sa sœur irlandaise.
Loi de finances pour 2021 : nouvelles mesures marquantes
La loi de finances pour 2021 (LF 2021) avait été adoptée définitivement en date du 17 décembre 2020. Parmi les mesures marquantes adoptées par la LF figurent, notamment, les dispositions suivantes :
- le mécanisme temporaire de neutralisation des conséquences fiscales de la réévaluation libre (La Lettre septembre & octobre 2020) ;
- l’instauration d’un crédit d’impôt pour abandon de loyer en faveur des entreprises touchées par la crise sanitaire (La Lettre novembre & décembre 2020) ; - l’étalement des plus-values immobilières en cas de cession-bail (La Lettre septembre & octobre 2020) ;
- la suppression de l’enregistrement obligatoire des actes constatant les augmentations de capital en numéraire ou par incorporation de bénéfices, de réserves ou de provisions, et les augmentations nettes de capital de société à capital variable constatées à la clôture d’un exercice, ainsi que l’amortissement ou la réduction du capital (La Lettre novembre & décembre 2020) ;
- l’élargissement du champ d’application du régime de faveur en cas d’apport en société d’une créance rachetée à une valeur décotée.
Elargissement du champ d’application du taux réduit d’IS
Pour rappel, le taux réduit d’IS de 15% bénéficie aux petites et moyennes entreprises (PME) dont le chiffre d’affaires est inférieur à 7,63 M€. Ce taux s’applique dans la limite de 38.120 € du résultat imposable.
La LF pour 2021 fait passer le montant du chiffre d’affaires des entreprises éligibles de 7,63 M€ à 10 M€. Cette mesure s’applique aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2021.
S’agissant du taux de droit commun de l’IS, il est fixé à 26,5 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2021. Toutefois, pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est au moins égal à 250 millions d’euros, le taux est fixé à 27,5 %.
Exclusion des transferts de stocks intra-communautaire de l’assiette de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S)
La C3S est une taxe assise sur le chiffre d’affaires. Le chiffre d’affaires soumis à la C3S se compose notamment des livraisons intracommunautaires. A ce titre, les transferts de stocks intracommunautaires, assimilés à des livraisons intracommunautaires, sont pris en compte, de facto, dans l’assiette de la C3S.
Toutefois, la CJUE, dans un arrêt du 14 juin 2018 (CJUE, 14 juin 2018, aff.C-39/19, Lubrizol France SAS c. RSI) avait estimé que la prise en compte des transferts de stocks intracommunautaires dans l’assiette de la C3S, au moment desdits transferts, était conforme au droit de l’Union européenne à condition qu’un mécanisme de déduction soit prévu. La Cour d’appel de Paris a ainsi fait application des conclusions de l’arrêt dans ses décisions (CA Paris, 29 janvier, 2021, 19/09480, Sté Lubrizol et CA Paris, 29 janvier 2021, 19/10162, sté Renault Truck).
De ce fait, le chiffre d’affaires soumis à la C3S doit être diminué du montant des transferts de stocks intracommunautaires. La jurisprudence constitue une avancée positive pour les assujettis à la C3S, réalisant de tels transferts. Elle ouvre, par ailleurs, la voie à des réclamations contentieuses concernant des paiements antérieurs. Ces réclamations peuvent porter sur la C3S payée en 2018 sur le chiffre d’affaires déclaré au titre de l’année 2017.
Emprunts intragroupes : la preuve du taux de marché devenue possible ?
Par principe, les intérêts de prêts intragroupes sont déductibles dans la limite du taux de référence, prévu par l’article 39, 1-3° du CGI, ou s’il est supérieur, dans la limite du « taux de marché », c’est-à-dire du taux que l’emprunteur aurait pu obtenir d’établissements financiers dans des conditions analogues.
Pour la justification du « taux de marché », le Conseil d’Etat (CE, 11 décembre 2020, n° 433723) a récemment affirmé que la preuve peut être apportée par tous moyens, conformément au principe de la liberté de preuve.
Il a ainsi jugé que la preuve du taux de marché peut être rapportée par référence au rendement d’émissions obligataires, sans qu’il soit nécessaire d’apporter des éléments complémentaires. Il reconnait également qu’une étude établie au moyen d’un logiciel de scoring peut constituer un élément de preuve pertinent.
Aussi, par une décision en date du 22 octobre 2020 (CAA Paris, 22 Octobre 2020, n° 18PA01026), la Cour administrative d’appel de Paris a admis le bien-fondé du taux d’emprunt intragroupe sur la base des éléments avancés par un contribuable, et notamment la production d’une étude de taux. En l’espèce, pour prouver le caractère normal du taux de 10% retenu, la société liée fournissait une étude comparative de taux réalisée grâce à un logiciel de rating. Par ailleurs, elle s’est également basée sur les taux que des établissements bancaires lui avaient proposés pour des prêts similaires.
Imputation des moins-values réalisées en cas de réduction du capital à zéro
La LF pour 2021 permet désormais, sous certaines conditions, d’imputer les pertes consécutives à une annulation de parts ou d’actions intervenue à la suite d’une réduction de capital à zéro. Cette possibilité, jusqu’à présent limitée par la loi aux annulations intervenues dans le cadre d’une procédure collective, avait été admise par le Conseil d’Etat (CE 22-112019 n°431867), et se trouve ainsi légalisée.
Cette mesure est applicable aux pertes subies depuis le 1er janvier 2020, et est soumise aux conditions suivantes :
- les pertes à l’origine de la réduction du capital à zéro doivent être égales ou supérieures aux capitaux propres ;
- la réduction de capital doit être décidée faute de dissolution anticipée de la société.
Les moins-values constatées en cas de réduction partielle ou totale de capital, lorsque les pertes sont inférieures aux capitaux propres, demeurent non imputables.
LF pour 2021 : Création d’un régime optionnel de groupe TVA
La LF pour 2021 autorise les personnes distinctes juridiquement, mais liées entre elles, à constituer, sur option, un « groupe TVA ». Ce dispositif est applicable à compter du 1er janvier 2023, quel que soit le secteur d'activité économique concerné.
Pour pouvoir bénéficier de ce régime, les conditions suivantes devraient notamment être remplies :
- les personnes assujetties doivent disposer en France du siège de leur activité économique ou d’établissement stable ;
- les personnes membres du groupe doivent avoir des liens étroits sur les plans financiers (détention directe ou indirecte de plus de 50% du capital ou des droits de vote), économiques (activités principales de même nature, interdépendantes, complémentaires ou poursuivant un objectif commun), et de l'organisation (avoir en droit ou en fait, directement ou indirectement, une direction commune ou une organisation concertée). Ces liens seront exigés de manière cumulative, et devront exister lors de l'exercice de l'option, et de manière continue pendant toute la période couverte par la demande.
L’option est notifiée par l’assujetti unique à son service des impôts accompagné, de l’accord des membres. Elle devra être formulée au plus tard le 31 octobre de l'année qui précède son application.
L'assujetti unique sera seul tenu de souscrire les déclarations de TVA au titre de toutes les opérations réalisées par l'ensemble de ses membres avec des tiers, et d'acquitter la taxe correspondante. Il bénéficiera du crédit de TVA constaté sur ses déclarations, pendant l'application du régime optionnel. Toutefois, le crédit de TVA d’un membre antérieur à son entrée dans le groupe ne peut être imputé sur la TVA due par le groupe.
Elargissement du régime d’apport de créance en société
En vertu du régime fiscal de faveur, une société, soumise à l’IS, qui rachète à une valeur décotée une créance détenue sur une autre société, puis l’apporte à celle-ci, est imposée sur l’écart entre la valeur réelle des titres reçus en contrepartie de l’apport (et non la valeur nominale de ces titres), et la valeur de rachat de la créance.
Jusqu’à présent, ce régime était notamment subordonné à la condition que ni la société bénéficiaire de l’apport ni la société apporteuse n’aient de liens de dépendance avec la société cédant la créance.
La LF pour 2021 supprime cette condition tenant à l’absence de liens de dépendance, entre la société cédant la créance et la société bénéficiaire de l’apport, dès lors que celui-ci est effectué dans le cadre d’un plan de sauvegarde, de redressement judiciaire, ou d’un accord constaté ou homologué à l’occasion d’une procédure de conciliation.
La condition d’absence de liens de dépendance entre la société cédant la créance et la société apporteuse, quant à elle, est maintenue afin d’éviter de faciliter des schémas potentiellement artificiels. Par ailleurs, la loi n’interdit pas, comme auparavant, l’existence de liens de dépendance entre la société apporteuse et la société bénéficiaire de l’apport.
Cette mesure s’applique aux exercices clos à compter du 31 décembre 2020.
Nouveaux dispositifs adoptés pour les entreprises en conciliation
En principe, les abandons de créances à caractère commercial, pour pouvoir être déduits, doivent résulter d’une gestion normale de l’entreprise. La LF pour 2021 prévoit un nouveau dispositif de déduction, sans condition, des abandons de créance à caractère commercial consentis dans le cadre d’une conciliation ayant fait l’objet d’un accord constaté ou homologué.
Cette mesure est applicable aux abandons de créance consentis à compter du 1er janvier 2021.
Par ailleurs, les entreprises faisant l’objet d’une procédure de conciliation peuvent demander le remboursement anticipé de leur créance de carry back. Cette faculté concerne les créances constatées à compter du 1er janvier 2021.
L’absence d’exploitation des locaux par le locataire commercial ne justifie pas la résolution du bail
La résiliation judiciaire d’un bail commercial pour défaut d’exploitation des locaux ne peut pas être prononcée si aucune stipulation expresse du bail ne fait obligation au locataire d’exploiter son fonds de commerce dans les lieux loués.
Après avoir rappelé ce principe, la Cour de cassation (Cass. 3e civ. 3-12-2020 n° 19-20.613) a censuré la décision d’une Cour d’appel qui avait prononcé la résiliation du bail commercial aux torts partagés entre le locataire et le bailleur, en retenant que le locataire avait commis une faute grave en cessant toute exploitation, et en quittant les locaux loués, alors même que l’exercice d’une activité commerciale n’était pas entravé. La Cour de cassation relève que le contrat de bail ne comportait aucune obligation d’exploitation permanente. Elle maintient sa jurisprudence antérieure.
Même lorsqu’il n’est pas une cause de résolution du bail, le défaut d’exploitation du fonds de commerce par le locataire n’est pas sans risque. En effet, l’exploitation effective d’un fonds de commerce dans les lieux est une condition d’application du statut des baux commerciaux (C. com. art. L 145-1) mais également du droit au renouvellement du bail du locataire (C. com. art. L 145-8).
Inventaire physique et Covid-19 : les diligences du Commissaire aux comptes quand ses comptages ont lieu après la clôture des comptes
Dans le contexte de la crise sanitaire, il se peut que le commissaire aux comptes (CAC) n’ait pas pu assister à l’inventaire physique réalisé par l’entité à la date de clôture de l’exercice, ou y assiste lorsque l’inventaire physique a été effectué après la date de clôture des comptes.
Le Comité des normes professionnelles précise que lorsque le CAC n’a pas pu assister à l’inventaire physique, il doit mettre en œuvre des procédures alternatives. Ces procédures alternatives peuvent notamment consister à mener des entretiens auprès des personnes ayant participé à l’inventaire afin d’en apprécier le bon déroulement ou renforcer les procédures substantives sur les cycles achats et ventes, visant à reconstituer l’équation des stocks. Le CAC peut également demander à l’entité d’effectuer un nouveau comptage à une date postérieure à la date de clôture. Il pourra ainsi observer l’entité et mettre en œuvre les procédures complémentaires de « roll back ».
Cette procédure consiste à une reconstitution du stock à la date de clôture à partir d’un inventaire effectué à une date ultérieure, notamment s’il y a eu peu de mouvements sur la période intercalaire.
Il doit également mettre en œuvre cette procédure de roll back lorsqu’il a pu assister à l’inventaire physique mais réalisé après la clôture des comptes.